Gouvernance locale : Où vont les milliards de la redevances forestières à l’Est ?

Les communes de Yokadouma, Mindourou, Mbang, Lomié et Bétaré-Oya se classent parmi les plus riches du Cameroun, avec à elles 5, plus de 2 milliards F CFA de RFA, qui n’ont aucun impact sur les populations qui vivent sous le seuil de la pauvreté.

Instituée par la loi forestière du 20 janvier 1994 et exclusivement redistribuée aux communes forestières, la Redevance Forestière Annuelle (RFA) n’a pas fini d’alimenter les débats à l’Est. Notamment dans sa capacité à impulser le développement local pour lequel elle avait été mise en place. Jusqu’à présent, lorsqu’un fonctionnaire est affecté dans l’une des localités citées supra, il se demande ce qu’il a fait à la République, au regard du désenclavement de ces communes forestières qui perçoivent des milliards F CFA au titre de la RFA.

Un cas palpable de mal gouvernance de cette manne, la commune de Yokadouma, chef-lieu du département de la Boumba-et-Ngoko. « Entre l’année 2000 et 2011, cette commune a reçu la somme de 9 milliards 295 millions 493 mille 087 F CFA de redevances forestière » informe une source interne. Malgré cet important flux de revenus perçu par la commune et les communautés locales, Yokadouma ne présente toujours pas de signe concret de développement. Les infrastructures sociales et économiques de la localité demeurent rudimentaires et insuffisantes. Tous les quartiers de la ville ne sont pas approvisionnés en eau potable. La population consomme l’eau des bornes fontaines et parfois des sources aménagées. 80% des habitants du département n’ont pas accès à l’électricité. Pour pallier à cette situation, des groupes électrogènes alimentent les villages Ngatto, Madjoue, Ngolla 20, Ngolla 35, Mparo, Momjepom et Moampack. Mis à part les routes forestières qui sont régulièrement entretenues, les autres routes de la commune sont en très mauvais état ainsi que certains ouvrages de franchissement. Les besoins pour l’accroissement et l’amélioration des infrastructures routières restent importants pour le développement de l’économie locale.

A Mindourou comme à Mbang, le dénuement est quasi-total. Les problèmes sont presque les mêmes. Les populations n’ont pas accès aux services sociaux de base. Les quelques poteaux électriques et forages que l’on peut apercevoir dans ces localités ne sont là que pour témoigner l’illusion des promesses électorales. Les populations rencontrées dans ces localités ne savent pas où va l’argent de la Redevance forestière annuelle perçue par leurs communes depuis des années. Des milliards F CFA pourtant destinés au financement des projets et pour améliorer le niveau de vie des populations.

D’après la dernière répartition de la RFA en 2017, la commune de Yokadouma avait reçu plus de 855 millions F CFA, et était classée comme la plus importante du pays. Dans ce classement, elle était suivie par celle de Mindourou qui avait bénéficiée de 406 millions F CFA. En troisième position venait la commune de Mbang qui avait reçue plus de 30 millions F CFA. La quatrième commune la plus riche du Cameroun était alors celle de Lomié qui avait perçu la somme de 246 millions F CFA. La commune de Bétaré-Oya occupait le cinquième rang national avec 230 millions F CFA. En somme, ces cinq communes forestières de l’Est avaient bénéficié de la somme de plus de 2 milliards F CFA.

Réalisations sociales

Dans l’arrondissement de Mindourou, les réalisations se comptent au bout des doigts. « En dehors de l’Hôtel de ville et du bâtiment qui abrite la radio ou encore le giratoire qui aurait coûté plusieurs millions F CFA à la commune, on n’a plus rien », regrette Dominique Mpouam, un habitant du village. Idem pour Mbang où les populations indiquent qu’en dehors de l’Hôtel de ville, de la recette municipale ou du bâtiment de la radio qui auraient coûté les yeux de la tête à la commune, les projets de développement se résument pour la plupart des cas à la construction des cases communautaires dont l’impact sur la vie quotidienne reste discutable.

A Lomié, localité fortement sous-scolarisée du département du Haut-Nyong, « en dehors des 10% dédiées aux populations, l’exécutif communal se bat à apporter près de 30% des 40% alloués à la municipalité pour ses investissements à travers la construction des salles de classe dans les 25 villages que compte l’arrondissement et leur équipement en tables bancs. Parfois, la commune octroie des bourses aux étudiants de son ressort » confie Nicolas Mpamzok, un natif du village.

 Depuis plus de 60 ans d’exploitation forestière dans la région de l’Est, il est difficile de quantifier les réalisations sociales ou de développement faits avec l’argent du bois. Selon Michel Ndoedje, Coordonateur de Fusion-Nature, une Ong locale qui travaille sur la gouvernance forestière, les raisons qui freinent le développement à l’Est sont diverses. « Il y a d’abord le manque de volonté politique des élus locaux de cette région et l’irresponsabilité des élites qui n’ont pour seul souci que leurs propres intérêts, au détriment de l’avenir de cette belle région ».

Dispositions réglementaires

Pourtant, le gouvernement camerounais a décidé de reverser 50% de la RFA aux communes et communautés locales de manière suivante : 40% aux communes et 10% aux communautés locales. Seulement, la gestion de ces ressources pose problème. La faute au non respect des dispositions réglementaires qui encadre l’utilisation de ces fonds. C’est le cas des 10% dévolus aux populations locales riveraines qui doivent en principe financer les projets arrêtés par les Comités de gestion mis sur pied par chaque village du ressort de la commune.

L’arrêté du 29 avril 1998 qui réglemente cette gestion stipule à ce sujet que « le maire est le président de tous les Comités de gestion de chaque village. Le receveur municipal est le trésorier, avec pour rapporteur, le chef de poste forestier. Et chaque Comité de gestion à partir d’un plan de développement bien étudié devrait identifier chaque projet de développement ». Mais la réalité est toute autre sur le terrain. Les membres éveillés des Comités locaux de gestion de la RFA sont très souvent changés dans les municipalités. « En qualité d’ordonnateur des dépenses, certains maires imposent leur volonté. Ils sont les seuls maîtres à décider de tout », regrette Alphonse Toukoulou, ancien membre du Comité de gestion du village Bolilossou par Mbang. Les revenus issus de l’exploitation forestière étant des deniers publics, ce dernier soutient qu’« un contrôle plus rigoureux de la gestion des fonds générés par la RFA par les services compétents de l’Etat,  peut inverser la tendance ».

Ange-Gabriel OLINGA BENG à Bertoua